Le recueil s’ouvre d’ailleurs sur un texte sans concessions : « Un rêve t’emmènera de l’utérus à la tombe ». Cette fatalité n’est pas sans charrier son flot d’amère mélancolie. Aussi l’ivresse du vin noir ne peut rien contre « son bouchon de tête de mort sèche ». Écrivant en funambule, le poète cherche ce point d’équilibre où les choses dureraient un peu, congédiant à la fois le silence et la peur. Quitte à amadouer le mensonge. Quitte à faire de la poésie un tour de prestidigitateur qui apaiserait les âmes. Le superbe poème « Je vois une femme se maquiller » doit ainsi s’entendre, non pas comme une vignette naturaliste, mais plutôt comme la mue symbolique d’une actrice qui cherche à s’extirper du néant.
Attentif aux mensonges, à la fuite du temps, à cette immense pièce de théâtre qu’est le monde, Benitez est sans aucun doute un baroque moderne. On sent chez lui une inquiétude chevillée au corps, une intranquillité qui ne nous laissera aucun répit ni faux espoir. Les auteurs convoqués au fil des pages, compagnons de route de son panthéon personnel, n’ont d’ailleurs rien de tiède : La fièvre solaire de Rimbaud, l’universalisme radical de Pound, le romantisme exacerbé de Keats, sans oublier Baudelaire, Blake ou Spinoza, chacune de ces références constitue une forme d’allusion autobiographique au poète lui-même. Loin de congédier le passé dans une posture révolutionnaire, il en tire les braises les plus incandescentes pour attiser son propre verbe.
Autre particularité de son écriture : l’attention au monde animal qui se décline en plusieurs directions. La mort toujours, avec la symbolique des « dents de l’animal » dans le poème « Les Peurs ». Mais aussi la force brute du réel qui peut prendre l’apparence de l’auroch mythologique qui enleva Europe. Les animaux peuplent les pages de cette anthologie, tantôt minuscules (insectes mortifères), tantôt pachydermiques à l’image du surréaliste « Après-midi d’un éléphant », « immense épiphanie grise » à la présence ambiguë et au pacifisme ravageur. Évoquons encore la tonalité orientale qui résonne au fil des pages. L’ombre du sage Lao Tseu plane ainsi sur l’un des poèmes les plus courts du recueil, sorte d’aphorisme acéré témoignant de l’évidence de la fatalité et de la relativité de la vérité. Quant au poème final, sobrement intitulé « Un héron à Buenos Aires », il prend d’abord des allures de haïku, avant de s’hypertrophier dans de subtiles variations sur l’existence et la quête de sens. Entre zoologie métaphysique, humanisme sans complaisance, convocation des Anciens et réflexion sur son art, la palette de Benitez a de quoi séduire plus d’un lecteur.
Frédéric Lacoste, Libourne (Francia), 1974. Doctor en Letras modernas. Sustentó una tesis en marzo de 2006 en la Universidad Burdeos 3 sobre “La representación del pájaro en la poesía de Saint-John-Perse, Philippe Jaccottet et Kenneth White” que fue publicada por el Atelier National de Reproduction des Thèses (ANRT). Periodista independiente, colabora con diversos diarios y revistas culturales.